Au Jardin d’Amélie, la permaculture crée du lien entre la terre et les hommes
J’ai rencontré Florence Battut lorsque je réalisais le portrait de Fabrice Mury, restaurateur investi dans l’écologie et le bien manger. Elle entretenait avec amour le potager du restaurant La Poudrière. Mais Florence est bien plus qu’une simple jardinière engagée dans la permaculture. Elle se définit comme permacultrice et cultivatrice de liens. Le titre à lui seul a suffit à m’intriguer. Je me suis donc invitée un mercredi après-midi dans le jardin d’Amélie à Meudon. Dans cette magnifique serre, ancien potager du Dauphin, elle cultive la terre et le lien entre les humains. Nous avons parlé du chemin parcouru, de reconversion, des valeurs qui la portent, de bien manger, de goût, de local, de saison et bien sûr d’Amélie, grâce à qui tout à commencer…
Que faisiez-vous avant de créer le jardin d’Amélie ?
Je suis cultivatrice de liens depuis toujours. Avant, je cultivais les liens entre le cinéma et les marques. Je faisais des placements de produits, avant-première, opération de partenariat. J’ai juste voulu après 15 ans d’une belle carrière, redonner du sens à mon activité.
Quels questionnements vous ont poussé vers la permaculture ?
Tous les enjeux environnementaux auxquels nous sommes confrontés et que nous commençons à vivre actuellement tels que les migrations, les problèmes de production, les typhons, les feux, les sécheresses… sont liés à la même problématique du réchauffement climatique. Je me suis dit : comment puis-je œuvrer pour mes enfants ? Comment puis-je faire en sorte qu’ils vivent leur vie le mieux possible, eux qui sont au démarrage de leur vie. Comment faire pour réparer en partie ce que nous, les générations précédentes dont je fais partie, avons créé par nos modes de vie consuméristes. J’avais envie d’essayer d‘inverser la vapeur pour que positivement, nous puissions mettre en œuvre un monde durable qui prenne soin de la nature et de l’homme. C’est ainsi que petit à petit, je suis arrivée à la permaculture.
Quelles sont les étapes qui vous ont menée à la permaculture et au jardin d’Amélie ?
Il y a d’abord eu les attentats. Un vrai choc qui m’a amenée à me demander comment sommes-nous arrivés à construire une société qui produit des hommes désespérés au point de tuer d’autres hommes et de se tuer eux-mêmes. Peu de temps après, je suis allée à une conférence de Tom Boothe, fondateur du supermarché collaboratif : La Louve. Il proposait de reprendre le pouvoir dans un domaine qui a toujours été important pour moi : l’alimentation.
Son idée est de créer une structure qui soit basée sur la coopération entre les gens et trouver un modèle qui permette à des producteurs de vivre mieux. Il faut reconstruire le lien entre les hommes et le bien manger. C’est un des enjeux primordiaux de l’environnement. Je me suis donnée un an pour m’investir avec eux. Pendant cette année, j’ai aussi continué à faire des rencontres, à m’informer, à comprendre comment fonctionnait l’économie sociale et solidaire. Je me suis rendue compte que je voulais agir au cœur de la problématique alimentaire qui à mon sens doit retourner au niveau des territoires et de la production locale.
Pourquoi est-ce si important de reconstruire le lien entre les hommes et leur alimentation ?
Aujourd’hui, à Paris, nous avons deux jours d’autonomie alimentaire. S’il arrive localement un problème dans le rouage de Rungis et de notre approvisionnement, comment nourrit-on 10 millions d’habitants ? Nous n’avons plus de ceinture maraichère. Nous produisons essentiellement des céréales sur les terres d’Iles de France. Mais finalement nous en mangeons assez peu. C’est vrai, il y a des pommiers et des poiriers !
Mais comment fait-on pour se nourrir ? On a complètement délocalisé au niveau national et mondial notre agriculture. L’agriculture vivrière d’il y a un siècle n’existe plus. Elle a été compartimentée, organisée, fédérée, scindée, mondialisée. Aujourd’hui, quelque soit le pays, nous produisons pour le marché mondial mais on ne produit plus sa propre alimentation. Si demain on ne peut plus transporter ces marchandises, si les ressources manquent, comme le pétrole, comment fait-on pour se nourrir ? On a mis notre alimentation donc notre survie dans les mains d’entreprises dont le but est de faire de l’argent, pas de la production.
Notre société s’est construite ainsi depuis des décennies, comment faire pour changer ?
Pour réduire les impacts liés aux émissions de gaz à effet de serre et notre dépendance vis à vis de la société commerciale et industrielle, je pense que nous devons nous réapproprier les savoirs. Il faut que nous réapprenions à produire notre alimentation soit de manière personnelle soit par l’intermédiaire d’un maraîcher de sa région. Il faudrait reconstruire un tissu local cohérent qui permette de répondre à nos besoins alimentaires.
Est-ce ce constat qui vous a amené à vous lancer dans la permaculture ?
Je suis partie de cette question : « Aujourd’hui : qu’est-ce que je mange ? » Je ne vais plus m’approvisionner dans le jardin mais au supermarché. Donc je consomme des produits qui ont été produits 15 jours ou 3 semaines avant, qui ont subit le froid, le transport, la conservation. Ils n’ont plus de vitamines, de minéraux et sont produits avec je ne sais quelle méthode. Pourtant, je vis à Meudon, une ville verte. Cependant, on y cultive le beau, l’ornement. Nous ne sommes plus reliés à la terre comme terre nourricière mais comme une terre que l’on exploite. Nous voulons qu’elle soit belle mais nous ne sommes plus dans le respect de l’environnement et de la nature.
Amélie est ma grand-mère. Son jardin est la source de mon inspiration. C’était un jardin 100% nourricier.
Qui est Amélie ? Comment vous a-t-elle inspiré ?
Amélie est ma grand-mère. Son jardin est la source de mon inspiration. C’était un jardin 100% nourricier. Nous ramassions les cassis pour faire les confitures de l’année. Nous montions dans l’arbre pour cueillir et manger les cerises. Elle confectionnait les cerises à l’eau de vie. Nous récoltions les reines-claudes pour le clafoutis du midi. Les carottes, les pommes de terre et les petits pois que nous ramassions, finissaient directement dans la poële du déjeuner. Ce jardin comptait beaucoup pour ma grand-mère qui avait 4 enfants à nourrir.
Plus tard, mes parents ont acheté une maison dans le Loiret. Dans la digne lignée d’Amélie, ils ont créé un potager. On y allait tous les week-end. Nous ramenions à Paris une cagette pleine de légumes. J’ai toujours connu cette nourriture savoureuse et qui avait du goût. Le goût de la tomate que je mangeais petite m’a guidée. Aujourd’hui, je ne mange plus cette tomate. Quand j’ai réalisé cela, j’ai eu envie de recréer ce jardin-là. J’ai eu envie qu’il revienne dans nos vies et qu’il soit au contact des gens.
Ce jardin symbolisait tout ce que j’avais envie d’avoir dans ma vie. Et de la tout à découler. Je voulais proposer des espaces de vivre ensemble et des espaces où l’on cultive le bien être et son jardin.
Vous vous définissez comme cultivatrice de liens, le jardin d’Amélie semble être bien plus qu’un jardin nourricier à vos yeux ?
C’est vrai qu’à mes yeux, le jardin porte toutes les valeurs auxquelles je suis attachée. Amélie m’a appris à respecter le jardin en respectant la nature et l’éco-système. Elle m’a appris à partager. Cultiver pour cuisiner ensemble et réunir tout le monde autour de la table ou encore troquer, donner les fruits et les légumes lorsque la récolte est abondante. Elle m’a appris à travailler au jardin et prendre des nouvelles de la voisine que l’on aperçoit dans son jardin. C’est un lieu de vivre ensemble où l’on peut aussi décompresser, mettre les mains dans la terre et ne penser à rien d’autres que ce qu’on est entrain de faire.
Finalement ce jardin symbolisait tout ce que j’avais envie d’avoir dans ma vie. Et de là tout à découler. Je voulais proposer des espaces de vivre ensemble et des espaces où l’on cultive le bien être et son jardin.
Et pourquoi avoir choisi de vous former à la permaculture ?
Toutes les valeurs que je viens de citer correspondent à l’éthique de la permaculture : prendre soin des humains, de la terre et partager les surplus et les productions. Je mets en œuvre cette éthique : j’accueille les humains. On est là pour passer du bon temps ensemble. Je prends soin de la nature et de la terre. On partage des ressources et des productions : les ressources du jardin, mes connaissances, celles des autres aussi…
Concrètement que propose le jardin d’Amélie ?
Le jardin d’Amélie s’est construit autour de 4 piliers :
Recréer un jardin en permaculture
- A l’origine c’était le potager du château du Dauphin qui a disparu. A l’époque le potager du Dauphin était un vrai lieu de production qui nourrissait le château situé sur la terrasse de l’observatoire et aujourd’hui disparu. Le jardin avait été malmené car cultivé de manière conventionnelle. Il fallait régénérer l’éco-système en le transformant en jardin comestible.
Créer un lieu de compostage collectif à grande échelle
- 30% de notre poubelle peut être compostée mais il y a peu de lieu pour composter. Ce déchet se transforme en ressource lorsqu’il est mis au jardin. Nous sommes bien dans une logique d’économie circulaire. C’est un processus positif pour la ville : on absorbe une partie de ses déchets. On évite de consommer de l’essence pour aller à l’usine d’incinération. On redonne à la terre ce qu’elle a produit.
Apprendre la permaculture par le faire
- Le but du jeu est de permettre à des gens qui ont envie de faire chez eux de la permaculture de venir tester, apprendre, transmettre les gestes et les savoirs pour pouvoir ensuite les dupliquer chez eux facilement. Je ne fais pas de formation. J’ouvre tous les mercredis pour transmettre et travailler dans le jardin. Je forme par le faire. Les gens adhèrent à l’association comme ils s’inscriraient à une activité de Yoga, de dessin ou de sport.
Se réapproprier des savoirs dans un but d’autonomie.
- Arrêtons de penser que tout vient de l’extérieur et qu’on ne sait rien faire. On sait faire plein de choses mais on est dans une logique de consommation. Souvent les gens n’osent pas faire. Avant on savait tout faire. Mais on a perdu ce savoir. Le jardin est aussi un lieu pour se réapproprier les savoirs. Chaque samedi matin, j’organise des ateliers : l’illustration botanique, Création d’un baume cicatrisant, faire son pain, recette maison zéro déchet, lacto-fermentation…
Je suis à ma juste place.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Je suis à ma juste place. Je n’ai pas grand mérite car je ne fais qu’utiliser tout ce que j’ai appris pendant ma carrière au service de ce projet. Organiser des événements c’est ce que j’ai fait pendant 15 ans, créer du lien entre deux univers aussi. Cultiver c’est ce que j’ai fait toute ma jeunesse. Je me suis nourris de toutes ces compétences pour le mettre au service de l’homme, de la nature et de la biodiversité.
Où trouver le jardin d’Amélie ?
Le jardin d’Amélie
15 rue Porto Riche – 92130 Meudon
Trouvez toute l’actualité sur la page Facebook du jardin d’Amélie
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