Ce mois-ci, je vous emmène dans le 19ème arrondissement de Paris découvrir l’association Altrimenti et sa créatrice Samanta Vergati. Une rencontre passionnante avec une femme aux idées foisonnantes et bien décidée à relever avec son association les défis d’une alimentation durable, saine, anti-gaspi et accessible à tous.
Bonjour Samanta, d’où vous vient ce joli accent ?
Je suis italienne. Je viens plus exactement de Naples. Je suis économiste du développement durable et de l’environnement. Je suis arrivée en France pour travailler en 2010.
L’alimentation joue-t-elle un rôle important dans votre vie ?
Depuis ma petite enfance, je suis imprégnée par l’art de bien manger. Cela me vient en particulier de ma grand-mère. Grâce à elle, j’ai acquis naturellement ce savoir-faire culinaire. Le repas, c’est un moment de partage. J’aime ce côté convivial. C’est une valeur sûre qui réunit tout le monde.
Comment vous est venue l’envie de créer Altrimenti ?
Lorsque je suis arrivée en France, je ne maîtrisais aucun code de ce pays. Je ne parlais même pas la langue ! Ce qui m’a permis de m’intégrer petit à petit dans la société, c’est la nourriture. J’avais une bonne carte de visite car la cuisine italienne est appréciée dans le monde entier. J’ai commencé à inviter des gens à manger et je leur ai fait déguster les recettes de mon pays. Mais au bout de plusieurs mois de vie en France, je n’avais pas encore découvert une vraie recette française préparée par un ami. Je ne veux surtout pas faire de généralités et je ne parle ici que de mon expérience mais j’ai été frappée de constater cette perte de lien avec la nourriture. Pourquoi les gens de mon entourage cuisinaient-ils si peu ? Pourquoi l’apéro se limitait-il aux cacahuètes et aux tomates cerise ? Pourquoi mes amis n’achetaient-ils que des produits ultra transformés, ultra emballés et qui n’étaient même pas bons ! C’est à partir de toutes ces constatations que j’ai commencé à réfléchir à ces problématiques alimentaires.
Quel est l’ADN d’Altrimenti ?
J’ai créé cette structure avec une vision militante pour permettre à tous d’accéder à une alimentation digne, saine, durable et anti-gaspi. J’avais bien conscience, de part ma formation orientée vers la politique sociale et environnementale, que pour des raisons économiques, culturelles, sociales ou géographiques, les publics les plus précaires étaient ceux qui avaient le plus de difficulté à accéder à une alimentation de qualité. En France, 8 à 9 millions de personnes sont en précarité alimentaire. Toutefois, dès le départ de cette aventure, mon défi était de pouvoir travailler avec tous les publics des plus simples au plus éduqués car eux aussi manquent de connaissance sur le sujet. C’est pourquoi, nous travaillons aussi bien avec des publics précaires, qu’avec des entreprises, des cadres, des dirigeants et même avec la princesse du Danemark qui adore notre projet. On sait faire le grand écart. La problématique concerne tout le monde. Il faut juste trouver le bon discours pour chaque public et faire en sorte qu’il soit reproductible.
Comment avez-vous construit vos programmes ?
Au départ, j’étais toute seule. Je suis vraiment partie de zéro. J’avais des idées mais je ne savais pas encore sous quelle forme j’allais pouvoir les mettre en place. J’ai mis plusieurs mois à y réfléchir. Je notais toutes mes idées sur des post-il que je collais dans mon petit studio. J’ai fait aussi mes premières réunions avec des amis, des gens intéressés. J’ai ensuite été frappée aux portes des structures locales, des associations. Grâce à elles, j’ai pu discuter avec les habitants des quartiers prioritaires à Paris et en Seine Saint-Denis. Je voulais comprendre la réalité des problèmes en allant sur le terrain pour mettre en place des actions concrètes à partir de ces informations.
Sur quoi a débouché vos recherches ?
Cela s’est traduit par des programmes qui ont été construits avec les associations de quartiers. Nous avons mis en place des animations, des ateliers culinaires, des rencontres sur un certain nombre de thématiques. Chaque action est conçue sur mesure en fonction des besoins et des envies des participants. Mais elles passent surtout par le prisme du gaspillage alimentaire. Nous surproduisons, nous surconsommons et à la fin nous jetons. L’idée était donc d’utiliser des produits inexploités comme outil de sensibilisation et de démocratisation des bons produits pour redonner à tous une nouvelle culture alimentaire.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret d’action réalisée par Altrimenti ?
Nous proposons par exemple un atelier cuisine appelé : « Rien ne se perd, tout se cuisine ». Nous mettons à disposition des bénéficiaires tout le matériel et la matière première. Nous utilisons toujours du matériel simple que les gens ont dans leur cuisine car le but est qu’ils puissent le refaire chez eux. Dans cet atelier, nous cuisinons avec des fruits et légumes non vendables mais encore utilisables. Cela nous permet d’avoir une porte d’entrée sur le thème de la réduction des déchets et de montrer qu’il est possible de réutiliser cette matière inexploitée de façon ludique, conviviale, saine et gourmande. Les animateurs racontent toujours l’histoire des plats que l’on va concocter pour récréer ce lien autour de l’héritage et de la culture mais aussi pour donner du sens et de la valeur au produit.
Qu’entendez-vous par donner du sens et de la valeur ?
Je trouve que le gaspillage alimentaire, parmi d’autres questions de fonds bien sûr, est lié à une perte de valeur de ce que nous mangeons. Le produit n’est plus beau alors on le jette. Et si l’on jette, cela veut dire que cela n’a plus de valeur. Intellectuellement, ce que je souhaite, c’est redonné de la valeur sociale, culinaire, économique à ces produits. Il ne faut pas oublier qu’éviter le gaspillage a aussi un intérêt économique.
Vos ateliers sont-ils gratuits ou payants ?
Nous voulons que l’accessibilité de nos ateliers soit garantie pour tous selon les moyens de chacun. Dans le cadre des programmes auprès des publics les plus précaires, les activités sont gratuites. Mais nous agissons aussi auprès de professionnels et de publics qui ne sont pas en situation de précarité. Dans ce cas, les activités sont payantes.
Vous vendez aussi des produits issus du gaspillage alimentaire, parlez-nous de ce projet ?
En parallèle de ces programmes, j’ai voulu aller plus loin. Je souhaitais que l’association Altimentri est aussi un volet d’insertion professionnelle en particulier pour les femmes. En effet, je suis une féministe convaincue et j’ai toujours milité pour l’émancipation des femmes au sens large. Mais je ne l’avais pas encore vraiment concrétisé dans la structure. En 2019, j’ai donc ajouté une composante insertion. Cela a pris du temps mais j’ai fini par obtenir l’agrément « atelier chantier d’insertion ». Nous accueillons des personnes en difficultés notamment des femmes et nous les accompagnons pendant deux ans vers l’emploi via un CDDI. Les femmes sont rémunérées et formées aux métiers innovants de la chaîne alimentaire, de l’alimentation durable et de l’anti-gaspillage.
Que vendez-vous précisément ?
Nous avons créé une gamme de produits, pestos, légumes marinés, fabriqués à partir de fruits et légumes déclassés. Le défi était de montrer que l’on peut faire des choses magnifiques et bonnes à partir de produits considérés comme des déchets. J’ai travaillé avec des chefs, des ingénieurs agronomes pour concevoir les recettes et trouver des solutions innovantes pour la transformation et la pasteurisation des produits. Quand vous achetez un produit Altrimenti, vous n’achetez pas seulement un bocal de légumes. Vous valorisez des déchets. Vous contribuez indirectement à former des femmes en difficulté et à les rendre autonomes. Vous participez à la préservation de la planète. Il y a une histoire et un impact.
D’autres projets en cours ?
Oui, j’ai toujours mille idées en tête. L’année dernière, j’ai imaginé le projet « Bon pour l’estomac, bon pour le climat ». C’est un programme itinérant qui vise des publics qui n’accèdent pas naturellement à nos actions. Nous faisons des tournées solidaires en vélo cargo dans une dizaine de quartiers de Paris et région parisienne. Nous avons 3 axes :
• La vente paniers de légumes anti-gaspi à prix libre. Cela permet aux gens de garder leur dignité en payant quelque chose même symboliquement et de donner de la valeur aux produits.
• La vente de nos produits : conserves, biscuits à prix coûtant.
• Un programme d’un an d’ateliers, de rencontres, de projection que l’on adaptera par rapport au public, pour les aider et les accompagner dans le changement de leurs habitudes alimentaires.
Où peut-on trouver Altrimenti ?
Altrimenti a dorénavant un lieu situé 56 bd Serrurier dans le 19ème arrondissement à Paris. Nous proposons régulièrement des animations pédagogiques et conviviales pour le grand public dans nos locaux. Nous y vendons aussi nos produits qu’il est également possible de commander sur le site d’Altrimenti.
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