Halage : l’insertion par les fleurs locales et de saison
En juin, j’ai eu le plaisir d’aller visiter l’un des sites de production de fleurs de l’association Halage sur l’île-Saint-Denis (93). Cette association aide depuis 25 ans les personnes en réinsertion à retrouver un emploi en les formant au jardinage et à l’horticulture. Oeillets, gerberas, tulipes, tubéreuses… poussent sous les doigts expérimentés de Rustam et Tenzin. Des fleurs locales et de saison achetées par les fleuristes parisiens et les plus grands hôtels de la capitale. Nicolas Fescourt, chargé de projets de l’association m’a raconté pourquoi Halage fait à la fois le pari de réintroduire de la dignité pour les personnes, de la nature en ville et des circuits courts.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’association Halage ?
Halage existe depuis 25 ans. Cette association a été créée par une poignée d’habitants de l’Ile-Saint-Denis dans le 93. Ils sont partis d’un double constat : d’une part que les berges de Seine était très sale et très polluée et d’autre part qu’il y avait un taux de chômage énorme sur ce territoire. C’est ainsi que lors du premier chantier d’insertion, les habitants ont nettoyé les berges de l’Ile-Saint-Denis.
Halage a aujourd’hui 150 salariés dont 50 permanents et 90 en parcours d’insertion chaque année.
Et aujourd’hui où en est l’association ?
Halage a aujourd’hui 140 salariés dont 50 permanents et 90 en parcours d’insertion chaque année. Nous avons 10 chantiers d’insertion « espaces verts » répartis dans 4 départements d’île-de-France. Dans ces chantiers, nous apprenons à des personnes éloignées de l’emploi le métier de jardinier et ouvrier des espaces verts. L’association est aussi un centre de formation dans lequel nous formons les équipes au CAP agricole. Enfin, nous avons un pôle agriculture urbaine / nature en ville avec un jardin d’insertion sociale et partagé à la Goutte d’or dans le XXème arrondissement de Paris depuis mars 2018. Nous nous sommes aussi lancés dans les fleurs locales !
85% de fleurs sont importées et bourrées de subtances toxiques.
Comment avez-vous eu cette idée de produire des fleurs locales en Ile-de-France ?
Nous étions un peu perdus face à l’engouement de l’agriculture urbaine mais nous pressentions que nous avions une place à y trouver. Finalement nous l’avons trouvé en passant par un drôle de chemin. Rustam, arménien en parcours d’insertion chez nous, a réussi à faire pousser des plants de tomates de 2 mètres de haut dans une rainure de béton à la Porte de la Chapelle. Nous nous sommes dits que nos salariés en parcours d’insertion avaient des savoirs expérientiels notamment dans l’agriculture. Malheureusement une fois arrivés à Paris, ils n’avaient pas l’occasion de les mobiliser sur le marché du travail. En parallèle, nous avons aussi entendu parler de l’aberration du marché mondial de la fleur : 85% de fleurs sont importées et bourrées de subtances toxiques. Dans un premier temps nous avons commencé à faire pousser des tomates et des concombres. Mais un jour Rustam nous a avoué qu’il avait été horticulteur pendant 20 ans en Arménie. C’est grâce à lui que nous avons installé cette serre.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le parcours de réinsertion chez Halage ?
Nous accompagnons des personnes qui ont eu des accidents de vie et se sont éloignés de l’emploi. Nous leur proposons un CDDI : contrat déterminé d’insertion qui peut durer entre un mois et deux ans. En général cela dure un an. Ce contrat s’appuie sur un tryptique : mise en situation de production (fleur ou espace vert), une formation qualifiante ou certifiante et un accompagnement social et professionnel : recherche d’emploi, faire un CV etc…. Nous avons 70% de réussite sur l’ensemble de nos salariés en insertion mais 100% de retour à l’emploi pour ceux qui travaillent avec les fleurs. Ce qui correspond à une vingtaine de personnes.
Les œillets qui poussent ici vont finir au Ritz !
Comment expliquez-vous ce pouvoir des fleurs ?
Nous avons constaté que les fleurs ont des vertus incroyables ! Les personnes marginalisées n’ont souvent pas beaucoup d’estime d’elles-mêmes. Or, la fleur est un produit merveilleux pour redonner le pouvoir d’agir. Grâce à leur travail, ils produisent quelque chose de beau du début à la fin. Du semis jusqu’à la coupe voire même jusqu’au bouquet, nous appréhendons tout le cycle du végétal. C’est une formation extrêmement complète. Nous travaillons avec une trentaine de fleuristes parisiens ainsi qu’avec des hôtels de luxe. Les œillets qui poussent ici vont finir au Ritz ! L’année dernière des tubéreuses ont orné la Fashion week. C’est extrêmement valorisant.
Réintroduire à la fois de la dignité pour les personnes, de la nature en ville et surtout des circuits courts.
Les fleurs locales d’Halage rencontrent donc un grand succès ?
Oui, la production de fleurs est en pleine expansion. Nous avons désormais 3 sites. Ce jardin de curé, exploité par deux personnes (Rustam et Tenzin). Une autre parcelle au bout de l’Ile qui fait 3 hectares. Une équipe de 15 personnes y travaillent en roulement. Nous avons un 3ème chantier qui fait 400 m2 avec des équipes flottantes dans le 17ème arrondissement. Nous avons envie de faire le pari qu’une petite association comme la notre peut renverser le marché d’Amsterdam et réintroduire à la fois de la dignité pour les personnes, de la nature en ville et des circuits courts.
Quand les gens achètent les fleurs d’Halage, ils n’achètent pas que des fleurs, ils achètent toute l’histoire qu’il y a derrière. Ils participent au projet.
La demande en fleurs locales et de saison est donc bien réelle ?
Oui, il y a une demande de plus en plus grande pour la fleur locale et de saison. J’espère que l’engouement sera aussi forte que pour la nourriture et qu’il y aura une vraie prise de conscience de la part des consommateurs. Lorsque nous nous sommes lancés nous avons été bien accueillis par les clients. Nous ne travaillons qu’avec des fleuristes qui viennent visiter notre site. Mais notre objectif premier n’est pas de produire de la fleur, notre objectif est de réinsérer des personnes en difficulté. Quand les gens achètent les fleurs d’Halage, ils n’achètent pas que des fleurs, ils achètent toute l’histoire qu’il y a derrière. Ils participent au projet.
Les fleurs locales sont-elles beaucoup plus chères que celles venues d’Afrique ou d’Amérique du sud ?
Nos fleurs locales sont plus chères de 10% à 15%. Mais ces œillets ou ces gerberas tiennent 3 semaines en moyenne. Les fleurs issues de l’importation sont coupées 6 jours avant d’être mis dans un bouquet. Elles tiennent donc beaucoup moins longtemps. Nous, on coupe nos fleurs le matin de la livraison. Elles arrivent ultra fraîches chez le fleuriste et donc tiennent très longtemps. La contrainte du prix n’est donc plus une contrainte car tout le monde s’y retrouve.
Les particuliers peuvent-ils acheter vos fleurs en direct ?
Jusque-là, on ne travaillait qu’avec des fleuristes mais au moment du confinement, ils ont tous fermé. Nous avions des tas de tulipes à vendre et nous devions préparer la saison suivante. Nous avons donc décidé de lancer la « botte mystère » que l’on livrait aux particuliers. Le concept a très bien fonctionné. Nous aimerions continuer et essayer de monter une offre aux particuliers. On nourrit aussi secrètement l’idée de créer une bourse aux fleurs locales. Nous voudrions trouver un endroit dans Paris où les horticulteurs locaux livreraient leurs fleurs. Les fleuristes viendraient s’approvisionner le matin et les particuliers, l’après-midi . Cela permettrait de créer un circuit ultra-court de la fleur.
Nous souhaitons accompagner les nouveaux porteurs de projets comme les anciens afin de pouvoir partager notre expérience et développer le slow flower français.
Avez-vous d’autres projets de production de fleurs locales en France ?
Nous souhaitons aujourd’hui continuer à participer à la structuration d’une filière de la fleur française, responsable et inclusive. Pour ce faire, nous souhaitons pouvoir lancer de nouveaux sites de production afin de pouvoir produire plus et créer d’avantage d’emplois. Dans le même temps, nous souhaitons pouvoir diffuser tout ce que nous avons pu capitaliser depuis que nous avons lancé l’aventure. Ainsi, toujours avec ce même objectif de re-structurer la filière de la fleur française, nous souhaitons accompagner les nouveaux porteurs de projets comme les anciens afin de pouvoir partager notre expérience et développer le slow flower français.
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