Chaque mois de nouvelles idées pour respirer et s’inspirer
Après Maureen et son joli pied d’arbre, le hasard m’a menée dans un jardin d’une plus grande envergure, le jardin Santerre dans le 12ème arrondissement de Paris. Dans le cadre de mon métier de journaliste, j’ai eu besoin d’interviewer et de filmer un maître-composteur. C’est ainsi qu’au fil de mes recherches pour dénicher la perle rare, j’ai rencontré Jean-Jacques Fasquel. Pour les besoins du tournage, il me donne rendez-vous dans un jardin. En réalité, je ne le savais pas encore, dans « son » jardin… Le lieu est bien caché au milieu d’une immense résidence. Sous le charme de cet endroit, dès la fin du reportage, je lui parle de mon projet de portraits de jardiniers urbains. Connaît-il des gens dans le jardin qui accepteraient de se prêter au jeu des photos et de l’interview ? Très spontanément, il me répond : « oui, moi ! J’ai créé ce jardin, il y a 10 ans. Le jardin Santerre était le premier jardin collectif de Paris », m’apprend-il alors. J’avais hâte d’en savoir plus. Rendez-vous est donc pris pour une séance photo, le week-end suivant.
A l’époque j’étais directeur de Bercy village et j’avais sur mon bureau une chemise dans laquelle je découpais des articles de presse sur les sujets qui m’intéressaient et en particulier ceux qui traitaient d’écologie. Lorsque j’ai quitté Bercy village, la chemise était devenue très épaisse. J’ai décidé de faire une pause afin de creuser ces sujets-là et réfléchir à mon avenir.
J’ai rencontré beaucoup de gens, regardé des films, lu des bouquins. Ma première idée était de devenir directeur développement durable dans une entreprise mais j’ai vite vu qu’il n’y avait pas d’opportunités. J’ai alors décidé de créer mon job de consultant en développement durable avec une spécialisation communication responsable. Voilà pour la partie boulot. Mais bien sûr dans ma vie personnelle, j’ai fait la même révolution et eu les mêmes questionnements. Très vite, j’ai compris qu’avec les déchets verts, un tiers de ma poubelle partait à l’incinérateur alors qu’on pouvait l’optimiser. J’ai d’abord essayé de convaincre la municipalité de faire du compost dans les jardins publics mais ça n’a pas abouti. C’était encore trop tôt, je pense. J’avais presqu’abandonné lorsque je suis tombé sur un retour d’expérience de Rennes Métropole qui montrait que de tels projets avaient déjà été mis en Bretagne en 2006.
Grâce à cette expérience, j’avais assez d’information pour savoir exactement comment mettre en place un projet de composteur collectif à Paris. Je suis locataire depuis 16 ans dans cette résidence. J’ai donc proposé à mon bailleur et à la mairie d’arrondissement, d’installer dans un premier temps un composteur en pied d’immeuble. Au début le bailleur a fait la sourde oreille mais finalement la mairie lui a écrit et a provoqué ainsi une réunion pour discuter des conditions, du cahier des charges, du financement. Finalement, ce n’est qu’un an plus tard, en juin 2008 que nous avons inauguré le composteur. Au début, nous étions une vingtaine de foyers puis le bouche à oreille a fonctionné et dix ans plus tard nous sommes 80. Nous transformons l’équivalent de 8 tonnes de déchets en compost de qualité pour nos balcons mais aussi pour notre jardin.
Sans attendre la terre et les barrières promis par le bailleur, nous avons commencé par cultiver un petit bout de terrain pour tester. Puis finalement nous avons tout bêché, étalé le compost produit grâce au composteur et divisé la surface en 45 parcelles soit environ 2 m2 par famille. Mon idée première était de faire un vrai jardin partagé mais les gens préféraient avoir leur propre parcelle. On a voté ! Et je n’ai pas eu gain de cause. Finalement, je suis assez content, chacun est responsable de son jardin, a sa liberté et son autonomie.
Ce qui ne nous empêche pas d’avoir des espaces collectifs. Nous y avons planté un cerisier, un pêcher qui a donné une vingtaine de bonnes pêches cette année, deux pommiers, deux figuiers. Nous avons aussi cultivé des patates, des aromatiques, des fruits rouges, des plants de vigne…mais sans grand résultat. Tout est bien sûr cultivé sans chimie de synthèse ! Le bailleur devrait venir élaguer un peu les arbres qui nous entourent pour donner un peu plus de soleil dans le jardin. On verra bien ce que ça va donner ! Nous avons aussi installé des ruches. Un apiculteur s’en occupait au départ puis je me suis formé et depuis 3 ans j’ai pris le relais. Cette année on a fait 13 kgs de miel mais rien l’année dernière. C’était vraiment une très mauvaise année. Mais certaines années, nous avons récolté jusqu’à 35 kgs.
Lorsqu’on a lancé le jardin, nous avons d’abord construit la cabane. Nous avons aussi fait une dalle et un escalier qui mène au rucher, puis un poulailler en 2013. En ce moment, nous creusons une marre. Nous ne nous donnons aucun objectif ni qualitatif ni de temps. Nous ne sommes pas des spécialistes ! C’est fait dans la bonne humeur, comme on peut et quand on peut. Le projet peut se faire en deux mois ou en deux jours ! Peu importe. Pour tous les projets, je lis quelques livres, je visite un ou deux endroits puis j’achète ou je récupère le matériel.
C’est un projet pérenne qui dure depuis 10 ans. Dès que l’on décide d’un projet, nous prévoyons un budget et le bailleur nous alloue aussi un budget spécifique. Il est en confiance et a même fait visiter le jardin à ses collaborateurs. Nous ouvrons le jardin à la fête du compost au mois de mars.
Tous les habitants de la résidence peuvent venir en profiter. Dès qu’il y a un jardinier dans le jardin, la porte est ouverte. Mais dès qu’il repart, on demande aux personnes de sortir. Nous organisons tous les ans une fête en juin. On chante, on fait de la musique. D’ailleurs à la suite de cette fête, nous avons décidé de monter une chorale. Une fois par mois, nous nous retrouvons chez les uns et chez les autres. En hiver, nous faisons une soupe populaire, chacun amène des légumes, on les fait cuire et on partage une soupe. Il y a des apéros le dimanche soir après les travaux collectifs qui sont de 17h00 à 18h30. Certains ne viennent que pour l’apéro ! Mais peu importe, c’est un super moment de convivialité. En 2014, nous avons reçu le prix des acteurs du Paris durable. »