Se reconvertir en agriculture urbaine : trois témoignages inspirants
Voilà 3 ans que j’arpente avec plaisir les jardins partagés et fermes urbaines de Paris et d’Ile-de-France. Je constate que ce sujet passionne de plus en plus de monde et que certains songent même à en faire leur métier. Grâce à ce blog, j’ai eu la chance de rencontrer quelques jardiniers et jardinières qui sont passés du rêve à l’action comme Florence, Véronique ou encore Caroline. Toutes les 3 ont troqué leur ordinateur et leur vie de bureau contre une bêche et une pelle. Grâce à l’agriculture urbaine, elles ont réussi à trouver leur équilibre entre ville et nature. Elles ont accepté de se replonger dans les étapes de leur changement de vie. De quoi vous inspirer si vous aussi, l’idée vous trotte dans la tête de vous reconvertir en agriculture urbaine.
Véronique : de graphiste à éco-animatrice nature
Véronique est la jardinière du petit jardin d’Eugènie dont vous trouverez le portrait sur cette page. Lorsque je l’ai rencontrée en 2018, elle s’occupait du jardin depuis 4 ans. Le jardin était sa bouffée d’oxygène mais il n’était pas du tout question de changement de vie et encore moins de se reconvertir dans l’agriculture urbaine.
Votre vie d’avant ?
J’étais graphiste free lance depuis 2000. Mais depuis plusieurs années mon travail ne m’épanouissait plus. Fin 2018, j’ai perdu un gros client puis un 2ème. Je ne pouvais plus payer les charges du bureau que je louais. Tout a été très vite. J’ai rendu les clés du local en juillet 2019. J’ai commencé à faire de l’intérim mais ce métier ne me plaisait vraiment plus du tout. Je ne voyais pas l’intérêt de continuer. J’étais à un tournant. Il fallait que je me décide : soit je continuais soit je faisais tout autre chose. C’était un pari fou sur l’avenir car j’avais 58 ans. J’ai encore 10 ans à travailler. C’est encore long mais cela laisse peu de temps pour une reconversion. Mais je souhaitais une fin de vie professionnelle plus en adéquation avec ce que j’étais devenue et avec mes envies.
Votre déclic ?
Au départ, je ne pensais pas me reconvertir dans l’agriculture urbaine car physiquement je pensais être trop vieille pour un travail aussi physique. Le jardin partagé me plaisait beaucoup mais ça n’était pas un travail. J’ai commencé par chercher par moi même sans grand succès. J’ai fini par m’inscrire à Pôle Emploi. Le conseiller m’a tout de suite vu dans les espaces verts. Je suis tombée sur quelqu’un de très impliqué. Je lui ai fait part de mes freins sur le côté physique de ce travail. Il m’a tout de suite encouragée à dépasser ces barrières. Trois jours plus tard, j’assistais à une présentation d’un organisme de formation, l’ESPEREM. Il recrutait des stagiaires pour une formation de 4 mois sur l’accompagnement et la sensibilisation aux métiers du jardinage urbain et de l’éco-construction. J’ai passé un entretien et j’ai été prise. A aucun moment mon âge n’a été un blocage et encore moins un critère pour ne pas être sélectionnée. La personne qui recrutait m’a même beaucoup rassurée en me disant que la ville de Paris embauchait de plus en plus de cinquantenaires dans les espaces verts.
Et maintenant ?
Ces 4 mois de formation m’ont renforcée dans mon choix. J’ai fait un stage d’un mois en février 2020 à la maison du jardinage à Bercy. J’ai vraiment aimé travailler avec l’équipe et j’ai beaucoup appris. Malheureusement avec le premier confinement, la formation s’est arrêtée plus tôt que prévu. Il fallait que je retravaille vite. Mon éducatrice m’a orientée vers l’association Espaces. Elle recrutait des éco-animateurs. Actuellement, je suis en CDDI : c’est un contrat d’insertion de 24 mois maximum. Je suis contente d’avoir trouvé ce poste et de ne pas avoir eu besoin de retourner dans mon métier précédent. L’association m’accompagne pour construire mon projet professionnel. J’ai un petit salaire. C’est important car avec mon statut de free lance je ne touche pas le chômage. Je suis actuellement éco-animatrice nature environnement et développement durable. J’accompagne et conseille les habitants aux techniques de jardinage naturel.
Alors, heureuse ?
Je suis contente de la voie que j’ai prise. J’ai assisté ces dernières années au retour de la nature à Paris et cela me passionne. Se reconvertir dans l’agriculture urbaine et ainsi contribuer à la biodiversité, mettre ma petite pierre à l’édifice, c’est une grande satisfaction. Si j’ai un conseil à donner c’est de ne pas hésiter ni trop réfléchir lorsque l’on a une conviction. Mais il faut se faire aider car seule c’est difficile. Je n’imaginais pas prendre cette voie. Il m’a fallu un regard extérieur. J’ai perdu du temps en cherchant seule. Une fois sur les rails, les choses se sont enchainées.
Caroline : de la mode à la terre
Après plus de 20 ans dans la mode, Caroline devient animatrice réseau des jardins partagés d’Ile-de-France avant de faire le grand saut vers l’agriculture urbaine. Aujourd’hui, elle travaille pour l’association Veni Verdi à Paris.
Votre vie d’avant ?
J’ai longtemps travaillé dans la mode. J’ai démarré ma carrière chez Agnès B avec qui j’ai travaillé pendant 10 ans. Je me suis ensuite mise à mon compte pour développer mes propres collections. Avec la naissance de mon premier enfant j’ai commencé à découvrir le milieu associatif par le biais d’une crèche parentale. Puis un jardin partagé s’est ouvert près de chez moi. Je m’y suis beaucoup investie. Le 11 septembre a sonné le glas de mon entreprise. La plupart de mes acheteurs étaient à l’étranger et ils ne se sont pas déplacés pendant deux saisons. J’ai donc cherché du travail. Un ami m’a parlé d’une association qui anime le réseau des jardins partagés d’île-de-France. Il cherchait une animatrice réseau. Contre toute attente, j’ai eu le job. Mais après 3 ans, l’association a perdu des budgets et a dû licencier. J’ai ensuite été recrutée sur une mission de conseil en gestion de projet en agriculture urbaine à Amiens. Cela m’a donné envie de renforcer mes connaissances techniques et moi aussi me reconvertir en agriculture urbaine.
Votre déclic ?
A l’issu de cette mission, j’ai donc décidé de faire le SIL (Spécialité d’initiative locale) Agriculture urbaine de l’école Dubreuil qui est devenu aujourd’hui le BPREA « Fermes agroécologiques urbaines et péri-urbaines » . Ca a été 9 mois de bonheur. C’était génial de retourner à l’école ! Nous étions un groupe très hétéroclyte avec des élèves allant de 25 ans à 60 ans. A l’école , je me suis rendue compte que plein de profs avaient changé tardivement de carrière. C’était rassurant. Même si je n’étais pas vraiment inquiète car j’avais l’impression d’être là ou je devais être, d’être en phase. Je ne savais pas ce que je voulais faire mais après avoir travaillé 20 ans en autonomie, j’ai découvert le plaisir de travailler en équipe.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, je travaille pour l’association Veni Verdi qui crée des jardins pédagogiques dans les établissements scolaires. Je fais de l’animation et je suis co-responsable de la création d’un site de production de 400 m2 sur le toit d’une école.
Alors, heureuse ?
J’aime beaucoup ce que je fais. Il y a un aspect très créatif dans ce métier. J’aime faire pousser des choses utiles et jolies. Mais il faut bien avoir conscience que se reconvertir en agriculture urbaine demande des sacrifices financiers. Beaucoup de porteurs de projets peinent à se dégager un salaire et les salariés sont très mal payés. De plus, dans le maraîchage, le rythme est soutenu et les journées sont longues même si de plus en plus d’agriculteurs essaient de s’organiser pour avoir des horaires moins difficiles. On ne peut pas partir en vacances l’été car il y a beaucoup de travail à cette période. Lors de ma formation, j’ai aussi vu quelques couples se séparer. Il faut donc bien réfléchir avant de se lancer. Je conseille de faire des stages et se confronter à la réalité du métier.
Florence : du cinéma à la permaculture
J’ai rencontré Florence Battut lors de mon reportage sur le potager du restaurant La Poudrière dont elle est la jardinière. Puis, je suis allée à Meudon voir le Jardin d’Amélie. Dans cette magnifique serre, ancien potager du Dauphin, elle cultive le lien entre la terre et les hommes. Elle se définit aujourd’hui comme permacultrice et cultivatrice de liens.
Votre vie d’avant ?
Pendant 15 ans, j’ai travaillé dans une agence qui faisait des placements de produits et des partenariats pour le cinéma. Je me suis épanouie pendant toutes ces années et l’agence a beaucoup grandi jusqu’à être racheté par Publicis. J’ai continué pendant 1 an mais mais il me manquait quelque chose. L’aventure avait été belle mais elle arrivait à sa fin. Lors de mon départ, j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un à Pôle emploi, qui a compris ce que je voulais et qui m’a proposé un accompagnement de 9 mois. J’ai pu faire le point et ouvrir mes champs d’observation en terme de secteurs d’activité, de modèle économique et de possibilité d’actions. Je n’imaginais pas monter mon propre projet. L’économie sociale et solidaire m’attirait. J’ai donc commencé à creuser et à découvrir plein de belles choses. J’ai pris mon téléphone et rencontré des gens qui ont l’intérêt général comme objectif et ainsi j’ai pu en apprendre plus sur ce secteur et mieux comprendre leurs métiers.
Votre déclic ?
Parmi toutes mes recherches, je me suis particulièrement intéressés aux sujets liés à l’alimentation et à l’agriculture. Et ce que j’apprenais sur sur la perte de la biodiversité, la malbouffe, les paysans qui ne vivent pas de leur travail, et sur le dérèglement climatique et les pesticides… me mettaient très en colère. Mon côté militante ressortait. Alors pour mieux comprendre le fonctionnement d’une coopérative, j’ai fait 1 an de bénévolat pour le supermarché coopératif et participatif : la Louve. J’y ai rencontré des gens formidables. Mais pour moi il y avait encore dans l’activité de revente de produit, quelque chose qui ne me correspondait pas. J’avais besoin du lien direct à la terre et aux hommes. A cette époque, j’ai rencontré la permaculture et tout est devenu limpide. Tout ce que je lisais sur ce sujet me parlait. J’ai donc décidé de me former. Là, j’ai réalisé que cela réunissait tout ce que je voulais porter : prendre soin de l’homme et de la nature tout en partageant les ressources et connaissances. En parallèle, j’ai découvert l’incubateur de la chambre de commerce de Paris, Incuba’school qui à ce moment-là lançait un appel à projet pour aider des entreprises de l’ESS. J’ai décidé de tenter ma chance. J’ai rédigé par écrit mon projet en une semaine et je l’ai défendu ! L’idée était simple : Transformer les espaces ornementaux des villes en espaces comestibles en ville. J’ai été sélectionnée et incubée pendant 6 mois.
Et maintenant ?
Tout ce travail m’a permis de révéler le projet que je voulais porter. Aujourd’hui, je suis « Cultivatrice de liens » à Meudon. Je conçois et j’anime des jardins potagers dans des écoles, des entreprises ou divers lieux de vie.
Alors, heureuse ?
Quand je vois les enfants des écoles dans lesquels j’interviens découvrir un nouveau légume ou prendre soin des vers de terre, je me dis qu’ils ont compris l’importance de la biodiversité végétale et faunistique ! Ils vont vouloir la préserver et moi j’ai réussi ma mission. Mais j’ai conscience que le chemin ne sera pas linéaire. Tous les ans je me repose des questions : Où en suis-je dans mon organisation ? Qu’ai-je fait de positif, de négatif ? Mon organisation est-elle assez vertueuse ? Que puis-je faire de mieux pour avoir un impact positif ? J’avance comme cela progressivement et le projet évolue. Mais aujourd’hui, je suis à ma juste place.
Pour aller plus loin :
Vous trouverez sur le site de l’Afaup toutes les formations en agriculture urbaine.
De nombreuses informations, conférences et offres d’emploi sont également relayées sur le média dédié à l’agriculture urbaine : agri-city.info
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