Végétalisation de Paris : rencontre avec Emilie, la fée verte du Village Jourdain
Il y a 4 ans, une bonne fée s’est penchée sur le destin du quartier Jourdain pour en faire un îlot de verdure. La fée s’appelle Emilie. Avec une vingtaine d’habitants, elle a transformé la charmante place des Rigoles et ses rues adjacentes en un vrai village verdoyant. La joyeuse bande de jardiniers urbains a déjà à son actif 20 pieds d’arbres végétalisés. Mais Emilie a fait bien plus qu’embellir son quartier et le rendre plus propre. Elle lui a redonné une âme. Cette folle expérience de végétalisation de Paris m’a semblé être une mine d’idées à piocher et une belle source d’inspiration !
Dimanche 24 mai, le soleil est au rendez-vous et les membres de l’association Village Jourdain aussi. Lorsque j’arrive place des Rigoles dans le XXème arrondissement de Paris, Emilie est au commande et donne à chacun sa mission du jour. Armés de leurs pinces à déchets, certains jardiniers partent nettoyer les pieds des arbres. « Et il y a du boulot, se désole une bénévole en me montrant une théière blanche trônant au milieu des plantes. Les gens jettent tout et n’importe quoi aux pieds des arbres ». D’autres sortent le long tuyau d’arrosage du garage. Grâce à Emilie et ses talents de négociatrice, elle a réussi à obtenir un accès à l’eau.
Nous avions tous hâte de retourner jardiner et de nous retrouver
La journée s’annonce bien remplie après deux mois de confinement. « Il va aussi falloir enlever les mauvaises herbes et replanter. Nous avions un pied d’arbre avec de beaux géraniums. C’était magnifique. On nous a tout volé ! Il n’en reste qu’un et il est cassé. Malheureusement, cela arrive souvent », soupire Emilie. Malgré ces petits désagréments, le sourire est sur toutes les lèvres. « Nous sommes nombreux aujourd’hui, nous avions tous hâte de retourner jardiner et de nous retrouver », ajoute-t-elle.
Le groupe Facebook Village Jourdain est suivi par près de 8000 personnes.
Emilie Bourgouin a profité il y a quatre ans d’un congé parental pour faire revivre ce quartier sur les hauteurs de Belleville. A force de circuler dans les rues avec ses enfants, la jeune mère de famille rencontre de nombreuses personnes aux parcours variés et passionnants. Toutes ces rencontres l’inspirent. Elle créé un groupe Facebook : Village Jourdain suivi aujourd’hui par près de 8000 personnes. Très vite, elle a envie d’aller plus loin et se lance dans l’organisation d’une grande fête de quartier. Le quartier accueille 5000 personnes la première année et 10 000 l’année suivante. C’est comme cela qu’est née l’association Village Jourdain.
Je me suis dit que j’allais construire des moments et animer le quartier de plein de façons différentes.
Devant ce succès, elle propose un projet de revalorisation totale du quartier à la mairie du XXème arrondissement. Rêve d’y installer un kiosque de jeu, un mini parc… « J’ai tenté le tout pour le tout », explique-t-elle. Elle reçoit un accueil positif de la mairie qui lui donne le feu vert pour réaliser des animations de quartier sans toucher néanmoins aux infrastructures comme elle leur proposait. « Comme je n’ai pas eu le droit de construire ce que j’avais en tête, je me suis dit que j’allais construire des moments et animer le quartier de plein de façons différentes.
J’ai demandé un permis de végétalisation de Paris
Je trouvais le quartier sale. Je me suis alors demandée : que puis-je faire pour améliorer cet espace ? A ce moment là, le permis de végétalisation de Paris est arrivé. J’ai fait une demande et un jour je suis descendue avec mon tablier et mes bottes et je m’y suis mise. »
L’association entretient 20 pieds d’arbre végétalisés
Elle commence par végétaliser la place des Rigoles puis la rue du Jourdain. Aujourd’hui, l’association entretient 20 pieds d’arbre végétalisés, organise chaque année la fête de quartier, propose des animations dans les écoles… « Grâce à tous ces projets, les gens se parlent. On connaît mieux nos voisins, les commerçants. On a plaisir à se promener dans la rue », m’explique Frédérique et Patty membres actives de l’association.
Je préfère parler de verdinage plus que de jardinage
« Je n’y connais pas grand chose en jardinage, avoue Emilie. Mais pour moi, le jardinage urbain n’est pas du jardinage. J’appelle cela du verdinage : mettre du vert dans la ville. En effet, jardiner sur l’espace public n’a rien à voir avec le jardinage. Ce sont des règles complètement différentes. Il faut laisser pousser les herbes folles et surtout ne pas essayer de faire pousser ce que l’on trouve dans un jardin car ce n’est pas un jardin !»
Les déchets : un défi dans la végétalisation de Paris
« Lorsque l’on entreprend un projet de végétalisation dans Paris, le premier défi auquel nous devons faire face dans la rue, ce sont les déchets. Plus le sol est nu, plus les gens y jettent leurs déchets. En revanche, nous avons constaté que le lieu était plus respecté lorsqu’il y avait des plantes et du vert. C’est un travail de longue haleine et d’éducation. Mais, vous voyez après deux mois de confinement, il faut recommencer !
Deuxième défi : faire pousser les plantes
Nous devons faire face à un deuxième défi : faire pousser les plantes ! Et oui car avant même qu’elles réussissent à pointer leur joli nez, elles sont volées ou piétinées ! C’est pourquoi, je me suis toujours fixée comme règle de ne pas mettre d’argent dans la végétalisation des arbres. C’est trop dur émotionnellement d’investir pour ensuite retrouver son travail dégradé. Nous avons planté quelques rosiers mais évitons les petites plantes qui s’enlèvent facilement. Les plantes rustiques comme les roses trémières ou la misère sont parfaites dans la rue. Nous avons aussi plein d’astuces pour récupérer gratuitement les plantes comme les trocs de plantes ou la récupération des invendus des magasins. La mairie de Paris distribue aussi des graines.
Véritable laboratoire d’expérience de quartier
On teste. On innove. Parfois, cela fait des choses incroyables. Nous avons par exemple testé les wicking bed, un système de bâche, de billes d’argile et de géotextile que l’on met au fond des bacs avec de l’eau, pour éviter d’arroser les plantes. Nous avons aussi réalisé des bacs en palette, un treillage en plessis avec de l’osier vif pour faire des haies et encadrer l’arbre. On a réalisé du compost avec de la drèche (résidu de bière récupéré chez le brasseur du coin), du café, du lombri compost, etc. Bref, c’est un véritable un laboratoire d’expérience de quartier. Il y a une grande liberté. Tout le monde peut venir planter quelque chose. Les pieds d’arbre sont en libre accès total. Je veille juste à ce que les gens ne désherbent pas trop. Grâce à cela, beaucoup d’habitants du quartier qui n’auraient pas fait la démarche de demander un permis de végétaliser s’approprient l’espace.
Le permis de végétaliser c’est le permis de cultiver les talents de chacun
Mais le permis de végétaliser c’est surtout le permis de cultiver les talents de chacun. Tout le monde peut venir dans l’association sans rien y connaître au jardinage. On peut arroser, répondre aux questions des passants… Un jour, un jeune homme est venu parce qu’il ne voulait pas rester seul chez lui. Il s’est avéré que c’était le meilleur attaché de presse au monde ! Il ne jardinait pas mais il avait des flyers sur lui et il discutait avec les gens qui passaient, faisait notre communication. C’est ce qui me plaît beaucoup dans ce projet. C’est accessible à tout le monde. N’importe qui avec son milieu, son histoire, son âge peut venir participer.
Certains projets sont financés par le conseil de quartier
Emilie constate aussi que sans structure autour de l’arbre, il est difficile de faire pousser les plantes. En particulier, lorsqu’il s’agit des pieds d’arbre avec des grilles. Les arbres sont anciens. La terre est tassée par les mégots, les saletés, les gens qui marchent dessus. Elle est si compacte qu’aucune racine ne peut s’y enfoncer. « Après 4 ans de test, j’en ai conclu que l’idéal est d’ajouter une structure de 40 cm de haut. Cela permet d’avoir la bonne profondeur pour planter et empêcher les chiens de grimper dedans. 20 cm c’est trop bas. Mais c’est dur à construire et cela coûte cher. C’est pourquoi, j’ai déposé une demande de budget au conseil de quartier pour la construction de 8 jardinières et d’une structure hexagonale avec deux bancs intégrés. Ils ont été fabriqués par une menuiserie solidaire. »
Emilie met en place l’opération « Adopte ton pied d’arbre »
Une fois les structures financées, Emilie met en place l’opération « Adopte ton pied d’arbre ». Elle propose aux gens du quartier de devenir parrain ou marraine d’un des pieds d’arbres. Chacun peut choisir son arbre et devenir ainsi veilleur de l’arbre. Frédérique, la gardienne de l’école qui n’avait jamais mis les mains dans la terre est désormais marraine de 4 pieds d’arbre. « Elle les bichonne ! Personne n’a le droit d’y toucher ! Mais on se mutualise souvent. Quand quelqu’un vient s’occuper d’un pied, il regarde partout. On s’entraide », se réjouit Emilie.
Un mur est magnifié par une grande fresque végétale
Elle rêve de recouvrir de plantes un affreux mur qui enlaidit la place. Mais devant les réticences des propriétaires de la résidence, elle demande à un artiste du quartier, Seaz, de réaliser une grande fresque végétale. « Je l’ai identifié grâce à tout un travail de terrain et d’approche. L’artiste est si respecté que depuis que la fresque existe, elle n’a pas été recouverte par les graffeurs »
Opération « semis » avec les écoles du quartier
La bouillonnante Emilie ne s’arrête pas là. Elle propose aux écoles du quartier une opération « semis ». Avec les jeunes élèves de 4 classes de maternelles et primaires, elle prépare les semis. Puis chaque enfant vient les replanter dans la rue. Ils prennent ainsi conscience que l’espace public leur appartient et ils lui portent un autre regard. Les parents voient les réalisations de leurs enfants et découvrent que là où ils jetaient d’habitude leurs mégots de cigarettes, leur enfant a planté une fleur. Ils respectent alors plus l’endroit. Les mentalités évoluent ainsi petit à petit. « Il y a eu une belle évolution depuis 4 ans. En faisant participer les habitants, nous avons réussi à rendre chacun un peu plus responsable du bien être du quartier.
Cette magnifique aventure devient un projet professionnel : liane de rue
« De manière plus personnelle, j’ai été emballée par cette aventure. Cela a été une vraie bulle de magie dans ma vie », s’exclame Emilie. C’était impossible de revenir à ma vie d’avant. Ce projet a investi beaucoup de mon temps mais je ne peux pas faire que du bénévolat. C’est pourquoi, j’ai créé Liane de rue. Nous proposons aux entreprises de participer à la vie de leur quartier en végétalisant la rue. Au lieu de la « pause café » ou la « pause clope », nous proposons la pause végétale ! Le confinement a un peu mis à mal ce projet mais en attendant leur retour au bureau, nous proposons aux salariés un « confit de pause verte ». Une fois par semaine, nous les invitons découvrir de chez eux la biodiversité en ville.
2 Comments
Que faire avec le pied de l’arbre situé au « 64 rue des rigoles » qui est un des endroits les plus sales de la rue des rigoles car des déchets de toutes sortes y sont déposés quasi quotidiennement ?
Bonjour Jan, j’ai transféré votre question à Emilie qui répondra mieux que moi à cette question. Bonne journée !