C’est en me rendant à l’inauguration de la miellerie collaborative de Paris que j’ai rencontré Périne. Au détour d’une conversation, elle me parle de son jardin partagé. Périne semble fourmiller d’idées pour animer ce jardin et redonner vie à son quartier. J’ai très envie d’en savoir plus. Rendez-vous est pris pour une séance photos dès les beaux jours. C’est pourtant par un pluvieux après-midi de juin que je l’ai retrouvée dans le jardin de la baleine verte. Périne m’attend dans ce poumon de verdure bien caché au milieu d’une résidence du 12ème arrondissement. Le ciel est gris et menaçant mais nous nous installons pour papoter sur la sympathique terrasse en bois qui trône au milieu du jardin.
La baleine verte
10 rue Erard – 75012 Paris
Résidence de Paris Habitat au bout du bâtiment C
Association Autour de la baleine
Posons le décor. Milieu des années 60. Le quartier de Reuilly Diderot est rasé pour être reconstruit. A cette époque, des espaces verts voient le jour comme le square Saint Eloi au milieu duquel trône une belle baleine bleue. Au milieu des immeubles, une grande pelouse est aménagée, accessible à tous. Mais dans les années 80, la criminalité et la drogue s’installent dans le quartier. Le jardin de 750 m2 se retrouve fermé par des grilles. Les habitants n’y vont plus. Le quartier reste très minéral, entouré de barres d’immeubles de 15 étages. Les gens se croisent en vitesse et ne se parlent pas. Seul moment de convivialité, la fête de la baleine qui a lieu tous les ans place du colonel Rozanoff, grande dalle balayée par les vents. Bref, le tableau n’est pas très gai.
L’idée : créer un jardin partagé construit par tous
En 2014, l’association « Autour de la baleine » qui existe depuis 2003 propose de transformer cette pelouse en jardin partagé. L’idée est de créer de la convivialité et de la solidarité dans le quartier. Mettre en place un jardin partagé construit par tous pour faire des choses ensemble et permettre que les locataires des immeubles alentour puissent en profiter et créer du lien social. Voilà comment commence l’aventure du jardin partagé de la baleine verte.
Pour Périne, ça commence par une histoire de fraises …
Sauver les fraises blanches
« Ma fille se rendait dans le jardin avec son école maternelle. C’est elle qui m’a fait découvrir ce lieu. Mais la raison qui m’a poussée à avoir une parcelle dans ce jardin : ce sont les fraises blanches. Ma grand-mère habitait une belle maison avec un puits et un jardin à la végétation luxuriante dans l’Essonne. Elle avait aussi un très beau potager dans lequel elle faisait pousser des fraises blanches. Ce sont des fraises très anciennes qui à maturité sont roses très claires et ont un goût délicat entre la poire et l’ananas. Elles sont arrivées d’Amérique au XVIème siècle et ont été mélangées génétiquement à la fraise des bois afin de donner la belle fraise rouge que l’on connaît tous aujourd’hui.
Si je laisse la tondeuse de mon père aller trop souvent à cet endroit, il n’y aura plus de fraises blanches.
Ma grand-mère nous a quittés et mes parents sont venus habiter la maison. Mais ils n’étaient pas les pros du potager. Je me souviens encore me dire : si je laisse la tondeuse de mon père aller trop souvent à cet endroit, il n’y aura plus de fraises blanches. J’avais 12 ans. J’ai alors récupéré les pieds de fraises et je les ai cachés à un endroit où j’étais sûre que mes parents ne viendraient jamais désherber.
J’ai fait mes études et j’ai commencé à travailler. Puis mes parents m’ont annoncé qu’ils allaient quitter la maison. Est-ce qu’il y avait encore des fraises blanches ? Elles ne devaient pas disparaître. J’ai pris des pieds et je les ai plantés dans mon appartement sans balcon. J’en ai offert à tous ceux qui ont des jardins potagers ou dont les parents ont des jardins. Ca pousse un peu partout.
Dans le jardin partagé, ma parcelle se couvre de fraises
J’ai découvert le jardin partagé de la baleine verte et on m’a dit qu’il y aurait peut-être une parcelle pour moi ! J’ai eu de la chance, j’allais pouvoir planter et récolter mes fraises. J’en ai alors couvert ma parcelle. J’ai aussi découvert grâce à une dame rencontrée à un atelier jardinage de la maison du jardinage que ces fraises s’appelaient les Saint-Joseph.
Cette histoire est importante pour moi ! Même si aujourd’hui il y a des fraises blanches partout y compris chez Truffaut. Le sort des fraises blanches ne reposent désormais plus uniquement sur moi !
J’adore organiser les fêtes mais j’aime surtout améliorer l’espace en tenant compte de l’usage que l’on en fait.
Lorsque je suis arrivée dans ce jardin communautaire, Sandrine, la présidente de l’association, avait besoin d’aide. J’ai accepté de m’engager dans le bureau de l’association. On s’est entendu super bien. On avait envie de faire plein de choses. Quand elle a voulu passer la main, j’ai proposé ma candidature. Je suis présidente depuis 3 ans. J’adore organiser les fêtes mais j’aime surtout améliorer l’espace en tenant compte de l’usage que l’on en fait.
Nous avons organisé un concours auprès des étudiants de l’école du paysage de Versailles
Au tout début, lorsque cet endroit n’était encore qu’une pelouse, Sandrine a organisé un concours pour aménager le jardin auprès des étudiants de l’école du paysage de Versailles car l’un des membres de l’association est enseignant là-bas. Six projets nous sont revenus et nous en avons sélectionné un. Les deux étudiants qui ont imaginé le plan, ont monté leur entreprise et nous ont accompagnés plusieurs années sur le développement du jardin. Ils ont dessiné certaines choses, d’autres ont été rajoutées comme la terrasse. Ce qui permet de se réunir quel que soit le temps.
Nous avons réussi à obtenir des aides pour financer le jardin
Nous avons réussi à obtenir des subventions de Paris Habitat, notre bailleur social ou encore de notre conseil de quartier pour financer les projets du jardin. Le budget est surtout nécessaire pour l’étude de conception car nous payons le cabinet de paysagiste qui réalise cette étude ainsi que la réalisation. L’association fait bénévolement tout le travail de maîtrise d’ouvrage. On propose l’idée, on cherche des pistes.
Nous avons fabriqué cette terrasse en un week end en s’y mettant tous ensemble !
Par exemple, la terrasse a été dessinée par les paysagistes de l’atelier Kosmes, Mélissandre et Toumi. Elle a été calculée et livrée par des architectes du cabinet « Ya+K » spécialisés dans les chantiers participatifs. La main d’œuvre, c’est nous ! Nous avons fabriqué cette terrasse en s’y mettant tous ensemble les week-end et les mercredis ! Et ça continue. Quand nous avons imaginé le lieu, nous voulions un mobilier modulaire comme un bar amovible, les tables de travail, la bibliothèque pour meubler le jardin pour les différentes activités. On aura une semaine de chantier participatif à la fin de l’été pour construire tous ces meubles.
Deux engagements : entretenir et ouvrir le jardin le plus souvent possible
Nous nous sommes engagés à l’entretenir et l’ouvrir le plus souvent possible. A partir du moment où quelqu’un de l’association est dans le jardin, il est obligé d’ouvrir le jardin partagé au public. Nous sommes aussi signataires de la charte « Main verte » qui implique de n’utiliser aucun produit phytosanitaire.
Nous acceptons tout le monde. Si il n’y a pas de parcelles disponibles, nous leur proposons de les mettre sur une liste d’attente.
Nous sommes 130 membres, certains n’ont pas de parcelle, ils veulent juste avoir la clé pour passer du temps dans les parties collectives et aussi pour composter car nous avons un composteur. Nous avons 47 parcelles individuelles. Certaines parcelles sont partagées par plusieurs jardiniers et nous avons aussi des parcelles collectives. Nous acceptons tout le monde. Si il n’y a pas de parcelles disponibles, nous leur proposons de les mettre sur une liste d’attente. Nous avons en général 5 à 10 personnes sur cette liste. Le turn over est important à cause des déménagements mais aussi parce que les gens pensent que c’est facile de jardiner. Puis ils découvrent que non ! Ca demande du temps. D’autres cultivaient cette parcelle pour les enfants. Mais ils grandissent. Ils passent alors leur parcelle à d’autres familles. Finalement, on attend assez peu de temps.
Les gens aiment se poser, regarder, écouter le pépiement des oiseaux
Même sur la liste d’attente, les gens peuvent participer aux ateliers collectifs ou profiter du jardin et du composteur. On a une chaisothèque avec des chaises longues et tout le monde peut se servir. On a mis à disposition des jouets pour les enfants et aussi il y a un circulivre où l’on peut prendre et donner un livre. Les gens aiment se poser, regarder, écouter le pépiement des oiseaux. On a plein d’insectes. Nous avons eu des bébés mésanges pour la première fois cette année. On va installer des nichoirs à moineaux et à chauve-souris.
Le collectif implique qu’il y ait beaucoup de coordination
Au tout début du jardin, tout était collectif. A certains endroits, ça a super bien marché. Mais la plupart du temps, ça ne fonctionnait pas du tout. Quand on fait du tout collectif, cela implique qu’il y ait beaucoup de coordination et que les gens laissent des traces de ce qu’ils plantent. Si vous plantez des graines sans mettre d’étiquette et sans prévenir personne. Si vous ne revenez pas la semaine suivante, il y a des chances pour que quelqu’un d’autre fasse la même chose au même endroit. Alors ça râle !
Chaque jardinier fait une permanence en été et une autre en hiver soit 3 heures par an.
On ouvre aussi deux après-midi par semaine. Là aussi, nous avons essayé l’auto-gestion sans organisation. Parfois il fait très beau et le jardin est ouvert constamment. Mais à l’inverse certains week-end pluvieux, il n’y a personne et ce sont souvent les même qui assurent. Nous avons donc décidé de mettre en place une permanence. Chaque jardinier fait une permanence en été et une autre en hiver soit 3 heures par an. Au niveau investissement, c’est minime.
Nous voulons faire de ce jardin partagé un endroit vivant, ouvert, agréable et accueillant.
Nous voulons faire de ce lieu un endroit vivant et ouvert, agréable et accueillant. C’est pourquoi, nous avons plusieurs types de projets et nous regorgeons de nouvelles idées. Il y en a pour tous les goûts. Ainsi chaque année, nous organisons des ateliers comme des ateliers jardinages avec un thème tel que : comment préparer sa parcelle pour l’hiver ? On fait du Shi Qong sur la terrasse. On organise aussi un atelier d’écriture collective. Nous avons créé une Amap qui démarrera en septembre. Au bout d’une semaine, nous avions 40 inscrits. Une productrice de l’Oise viendra faire sa distribution tous les mercredi ici. Et nous allons mettre en place des ateliers pour apprendre à cuisiner les légumes. Une autre association va venir faire un couscous.
Nous allons aussi proposer des activités avec un centre d’animation qui se trouve juste à côté : le café Maya Angelou. Des associations dont la nôtre sont invitées à proposer des activités et à occuper ce lieu. On va faire des ateliers cinéma, des débats sur l’écologie, sur la nature, essayer de partager nos connaissances.
Venez à la fête de la baleine ! Tout le monde est bienvenu
Enfin, nous avons repris l’organisation de la Fête de la baleine qui se passe dorénavant ici en juin. On propose des jeux pour les enfants et un petit concert. Il y a entre 100 et 300 personnes qui viennent selon le temps. Le jour de la fête, nous proposons un stand photos. Pour beaucoup de gens, dont je fais partie, c’est la photo de famille de l’année ! Nous avons archivé 15 ans de photos ! On a fait une rétrospective, il y a deux ans.
La fête se termine par un buffet participatif. Tout le monde est bienvenu. Les gens se rencontrent ici. Venez avec un plat à partager !
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