Damien Deville : le jardin en ville peut-il être un outil de lutte contre la précarité ?
Lorsque l’on s‘intéresse à la nature en ville, très vite on entend parler de Damien Deville. Ce jeune chercheur diplômé en développement territorial, en géographie et en anthropologie de la nature, s’intéresse depuis plusieurs années aux liens entre ville et nature. Pour sa thèse, il lie jardin et précarité en tentant de répondre à la question : que peuvent apporter les jardins partagés dans les milieux précaires des petites et moyennes villes ? Je l’ai rencontré, il y a un mois. Voici le compte-rendu de notre discussion autour des jardins, de la ville, de la précarité.
Bonjour Damien Deville, Pouvez-vous d’abord m’en dire plus sur vous et votre parcours ?
J’ai été très tôt passionné par l’écologie. J’ai eu la chance de vivre en milieu rural dans un petit hameau de 100 habitants entouré par la forêt. J’ai passé mon enfance à courir les champs. A 14 ans, je suis entré au lycée agricole pour faire un bac avec une option en écologie. Puis je me suis orienté vers des études plus axées sur la biodiversité. Mes premières expériences professionnelles en Australie comme Ranger m’ont montré qu’on ne pouvait pas penser la nature sur la nature mais plutôt penser des liens structurants entre activités humaines et non humaines. Cette rencontre entre humains et non humains peut créer énormément de richesse, de bonheur mais n’est pas assez valorisée dans nos politiques. C’est comme cela que je me suis orienté dans la deuxième partie de mon parcours vers l’anthropologie et la géographie.
Et le jardin ? Comment êtes-vous venu à vous intéresser à ce sujet en particulier ?
Je suis arrivé au jardin grâce à des expériences vécues. Je me suis engagé très tôt dans la société civile. Pendant mes études à Paris, j’ai créé un jardin partagé dans le 14ème qui existe toujours. Cela m’a intéressé de comprendre ce que ces lieux de nature apportaient aux gens qui habitaient des espaces qui en étaient dépourvus. Puis pour ma thèse, j’ai voulu aller plus loin. J’ai alors décidé de réfléchir au lien entre nature, ville et précarité. Que peuvent apporter ces jardins dans les milieux plus précaires des petites et moyennes villes ?
Quelles villes avez-vous choisi pour votre recherche ? Et pourquoi ?
Porto et Alès sont les deux territoires au cœur de ma recherche. Ce qui se passe dans ces 2 villes ressemble à ce qui se passe dans les villes qui ont subi une importante rupture économique comme Roubaix, Saint Etienne, Le Creusot. Ces villes anciennement industrielles ont eu du mal à diversifier leurs activités lorsque la France s’est développée dans l’économie de service. Beaucoup de gens sont restés sur le carreau. Dans ces villes moyennes, il y a peu de pression démographique. Certaines perdent même leur population comme à Saint Etienne. Du coup, il y a de l’espace foncier disponible pour porter des projets agricoles comme ceux-là. Il y a alors un retour à la terre des populations qui ne voient pas cela comme un projet social ou écologiste mais comme une solution pour arrondir les fins de mois.
Comment avez-vous travaillé ?
J’ai eu deux approches :
Tout d’abord comprendre la crise dans la ville. J’ai rencontré les gens qui vivent la ville, jardiniers ou non comme les pouvoirs publics, les cadres territoriaux et j’ai écouté le discours qu’ils ont sur leur ville. Ce qui est intéressant en France, c’est qu’il y a un refus de la crise. Un territoire doit être compétitif et attiré les classes créatives, ceux qui son capables de créer de la richesse. Du coup, ils mettent en invisibilité toutes les difficultés sociales. Ces villes investissent pour attirer des populations qui ne viendront jamais et elles laissent sur le carreau une autre population peu diplômée, qui n’est pas le sujet des politiques de développement portées par la ville.
Ensuite, bien sûr, je suis allé dans les jardins. Je voulais comprendre à quel moment arrive le jardin dans les trajectoires de vie des individus. Pour cela, nous utilisons ce qu’on appelle le récit de vie. Il faut comprendre la vie des personnes avant le jardin. Comment est-il arrivé dans leur vie ? Qu’est-ce qui se passe pendant et que pourrait-il se passer après. En quoi le jardin est une manière de se réapproprier la ville et de redonner l’espoir de projet futur sur du long terme.
La première motivation de ceux qui reviennent à la terre, ils le disent tous, c’est se nourrir.
Justement, dans des métropoles comme Paris, le retour à la terre est surtout motivé par un besoin de se reconnecter à la nature ? Est-ce aussi le cas dans ces villes ?
La première motivation de ceux qui reviennent à la terre, ils le disent tous, c’est se nourrir et éventuellement gagner un peu d’argent en vendant leurs produits agricoles. C’est normalement interdit mais néanmoins toléré par la mairie.
Puis, au fil du temps, il y a un apprentissage qui se met en place : d’abord le contact avec la terre, ensuite avec d’autres citadins. Très vite ce jardin transite vers de multiples fonctionnalités. Des jardiniers parlent de bien être, un lieu qui leur permet de sortir de leur HLM souvent aliénant, oppressant. Ici on respire. « J’ai un horizon » disent-ils. Je suis tranquille, les voisins ne viennent pas m’embêter. Dans les cités il y a beaucoup de promiscuités.
Que trouvent-ils dans le jardin qu’ils n’ont pas ailleurs ?
Les jardins ont créé à Ales des liens sociaux entre des personnes qui ne se seraient jamais rencontrées et parfois même en dehors du jardin comme au marché ou au boulodrome. On se donne des conseils agricoles, on échange des graines, des plants. Les jardiniers pour maximiser la production de leur jardin font aussi appel aux connaissances des agriculteurs du coin, vont leur acheter du fumier pour fertiliser leur jardin. Ils construisent avec ces gens des relations très fortes qui dépassent le côté professionnel. Si bien que ces citadins vont finir par se réapproprier aussi la campagne en allant aux champignons l’automne, en allant se baigner dans les ruisseaux des Cévennes ou à la pêche ou encore en tentant leur chance à l’orpaillage.
Il se crée aussi un lien avec les fantômes, les gens qui ne sont plus là mais qui se rappellent au jardinier par l’acte de jardiner. Le jardin rappelle une enfance passée au pays. Le grand-père qui jardinait dans le village cévenol. Si bien que des jardiniers utilisent des outils vieillots, rouillés. Une petite serpette par exemple pour couper les haricots. Ca serait plus efficace avec un sécateur mais ils préfèrent la serpette qui leur rappelle leur papa, la grand-mère qui l’utilisait.
Il y a aussi une opposition très forte entre le travail du jardin et le travail qu’ils avaient à l’usine. Ce travail à la chaine, un peu aliénant, sous les ordres d’un patron qu’ils ne connaissent pas. Là, ils sont leur propre chef et c’est très important pour eux.
Permettent-ils de sortir de la précarité ?
Les jardins ne permettent pas vraiment de sortir de la précarité. Malheureusement, cela les enferme même parfois dans une activité. Dans certains cas, ils arrêtent de chercher un emploi. Pas tous, mais certains. Alors que le jardin même si il rapporte un peu d’argent ne rapportera jamais plus ou autant qu’un smic dans une entreprise. Mais plus important encore que cette sortie de la précarité, le jardin est un agencement de la liberté. Il permet à ces citadins de réhabiter la ville comme eux, le souhaitent.
Ces jardins sont des outils pour cultiver ce qu’Henri Lefebvre appelait le « droit à la ville » c’est-à-dire cette capacité que chacun a de fabriquer la ville ne serait-ce que sur une parcelle. Il leur redonne une capacité d’action à l’échelle du quartier ou de la municipalité. Et d’ailleurs à Ales les cadres de l’association sont autour de la table de toutes les réunions de conseils de quartier et autour de la table pour négocier les politiques écologiques avec la mairie…
Ces projets de jardins sont-ils soutenus et portés par les mairies ?
Tout dépend des territoires. La ville d’Alès ne parie pas vraiment sur l’écologie mais plus sur le numérique, les start-ups et le développement des filières touristiques. En revanche, elle offre un appui symbolique aux jardins déjà en place dans la ville. A travers la communication de la ville, l’association des jardins familiaux est mise en avant. Elle valorise les quartiers HLM en mettant aussi en avant sa politique d’embellissement de la ville.
D’autres communes comme Grand Synthe parie sur sa politique écologique. Le maire pari sur l’écologie pour rendre sa ville plus attractive et permettre à des gens de sortir de la précarité. Mais c’est un cas exceptionnel. En effet, si les gens sont très pauvres, la ville est riche. Il y a toujours des industries en périphérie de la ville qui payent des taxes ce qui lui permet ainsi de porter toutes ces politiques de transition écologique. Ce qui n’est pas le cas à Alès où les entreprises sont parties.
Avez-vous quand même des exemples de personnes dont la vie a changé grâce au jardin ?
Oui, j’ai l’exemple d’un homme qui s’est présenté à des élections municipales dans le village où il habite car le jardin catalyse un engagement pour la collectivité. Il est devenu adjoint de sa mairie et a ensuite lui même mis en place un projet de jardin partagé dans sa mairie. Un autre homme qui cultivait depuis très longtemps à Alès a fait une transition professionnelle vers l’agriculture. Il a mis ensuite en place une université populaire de la permaculture. Aujourd’hui, il est devenu une référence à Alès. Ce sont des minorités parmi les jardiniers mais ces trajectoires existent.
Pour en savoir plus sur Damien Deville, rendez-vous sur son site www.damiendeville.eu
Il a également créé l’association AYYA qui sensibilise et porte des projets autour de l’écologie relationnelle.
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