Aujourd’hui, je ne vous emmène dans un jardin ni voir de pied d’arbre. La nature à Paris peut prendre de multiple formes. Il y a quelques temps, j’ai visionné le très beau documentaire : Le champs des possibles, que je vous recommande d’ailleurs chaudement. A la fin de ce documentaire, la réalisatrice nous présente des bergers urbains. Oui, vous avez bien lu. Des bergers qui font paître leur troupeau non pas dans les champs ou les alpages mais en pleine ville ! Immédiatement, j’ai eu envie de les rencontrer. J’ai donc passé en septembre une journée entière avec Julie, Guillaume et leurs moutons lors de l’une de leur transhumance urbaine entre Saint Denis et Aubervilliers.
Les bergers urbains cassent les barrières, le temps d’une rencontre
Lorsque j’arrive enfin à les retrouver, assis sur un banc, Julie et Guillaume, nos bergers urbains, surveillent la dizaine de moutons qui paissent tranquillement les herbes qui bordent les trottoirs. Je vous présente Victoria, Valois ou encore Sarah Bernard. Les voitures qui passent ralentissent, certains sortent leur smartphone et prennent une photo, d’autres s’approchent avec la folle envie de les caresser. La discussion se crée autour du troupeau. Certains posent des questions. On voit les sourires sur les lèvres. « Nous sommes dans un quartier où il y a beaucoup d’entreprises. Les salariés sont contents de voir les moutons au pied de leur immeuble plutôt que dans des parcs d’éco-pâturages où ils n’iront pas les voir. C’est tellement évocateur et incongru que les gens ont besoin de partager leurs impressions. On arrive à casser les barrières le temps d’une rencontre. »
» Le mouton a un rythme immuable. Il doit ruminer. Alors que nous, en tant que citadins, on nous pousse à vouloir aller plus vite. Là, sur les pieds d’immeuble et de bureau, on vient fumer sa clope avec les moutons. Et très vite cela les pousse à se poser des question sur eux, leur vie, leur rapport à la nature. Cela permet de tempérer un peu ce rythme effréné auquel nous pousse la ville. A force de mettre de l’animal d’élevage dans la ville, nous retrouvons notre condition d’humain », explique joliment Guillaume.
« Il peut arriver n’importe quoi, on a les moutons, le jardin. »
Le programme de l’après-midi est varié : balade au pied des immeubles modernes des docks des Portes de Paris à Saint Denis puis arrêt au parc du Millénaire pour une petite pause déjeuner, enfin traversée des usines d’Aubervilliers, en plein quartier de la fringue made in China.
Cette idée de bergers urbains a démarré il y a 7 ans dans la tête sans doute un peu folle de citadins trentenaires venus d’horizons très différents et qui avaient envie de revenir à la terre. Julie a débarqué dans le projet par hasard. Elle était chef de chantier gros œuvre, spécialiste du béton. L’association avait besoin de construire une bergerie et ils avaient besoin de savoir-faire dans ce domaine.
« Ensuite, je me suis passionnée pour l’agriculture. Je viens du Sud-ouest et j’adore manger des bons produits. Je me suis dit pourquoi ne pas faire toi-même et avoir une traçabilité ultime plutôt que de bien gagner ma vie et d’aller à la Biocoop. Philosophiquement parlant, on atteint un petit goût de liberté. Lorsqu’on essaye d’atteindre l’autonomie alimentaire, il peut arriver n’importe quoi, on a les moutons, le jardin. De quoi d’autres avons-nous besoin ? », explique-t-elle avec ce charmant petit accent du sud-ouest qui a lui seul nous fait quitter Paris.
Les moutons ralentissent la ville
Guillaume, lui était développeur territorial à la Ferme du bonheur. Là-bas, raconte-t-il, il y avait des animaux. Je me suis rendu compte que les animaux rapprochaient les gens. Nos bergers urbains se sont installés sur les friches du nord de la petite couronne. « Personne n’était implanté là-bas et le foncier y est moins cher. Nous avons commencé il y a 7 ans, sur les pieds d’immeuble et les espaces verts de la ville. Au départ, l’adjoint à l’environnement nous a trouvé un partenariat avec une chaufferie qui voulait bien accueillir les moutons. Ils étaient là-bas le soir et dans la journée nous les sortions dans la cité. On a commencé avec 8 moutons et 60 enfants autour de nous, non encadrés !
On a vite compris l’impact d’un tel projet sur le quartier et qu’il fallait travailler avec les habitants. 60 gamins derrière 8 moutons, ça ne pouvait pas aller ! Il fallait les occuper à autre chose. C’est ainsi que l’on a planté des espaces verts puis on s’est mis au maraîchage, à la viticulture et à l’élevage. Le projet s’est développé assez vite avec un noyau d’une douzaine de personnes puis avec les habitants qui le souhaitaient. On essaie de ralentir la ville que se soit avec les moutons ou avec l’agriculture. Avec le vivant, il faut ralentir », me racontent-ils.
On fait de l’anti journal de 20h00
Ce projet a permis de tisser du lien au pied des immeubles plutôt que devant sa télé. « On fait de l’anti journal de 20h00. Nous avons créé des rideaux verts. On a mis du vivant. On peut réarpenter ces lieux. C’était notre gros enjeu. Comment récréer de la vie dans ces endroits que l’on ne cesse de déshumaniser.
Les métaux lourds sont inexistants sur nos moutons
Nous avons pu faire de l’écologie de manière différente et sensibiliser aux questions environnementales en ville. Beaucoup de gens se posent la question des métaux lourds. Mais, il y a moins de risques à manger des métaux lourds qu’à les respirer. De plus, nous avons analysé les poils de nos moutons car ce sont les poils qui stockent le plus les pollutions. Nous avons juste détecté quelques micro-traces d’aluminium très en dessous des seuils. Pour le reste tout va bien. »
Le bruit de la ville ne les gêne pas
Aujourd’hui le troupeau compte une soixantaine de brebis nourrit 100% à l’herbe. « Le bruit de la ville ne les gêne pas. Les moutons marchent très bien sur les trottoirs, ils ne sont plus du tout perturbés. Ils préfèrent se promener en ville plutôt que rester dans une étable. Ce qui est le commun d’un mouton aujourd’hui », affirme Julie.
« Nous faisons abattre nos brebis dans un abattoir de la région pour les manger même si c’est dur. »
« Nous faisons abattre nos brebis dans un abattoir de la région pour les manger. Même si c’est dur. On voudrait trouver une 3ème voie. Cela fait 7 ans que je fais ce métier donc je suis claire avec moi-même. Mais dernièrement une jeune bergère m’a accompagnée à l’abattoir. En débarquant les moutons, nous avons discuté avec le directeur de l’abattoir qui est très sympa. Elle les a accompagnés, leur a fait des gratouilles pour les déstresser. Elle les a vu se faire tuer. Elle était étonnée car c’était loin de tout ce qu’elle pouvait imaginer en terme de violence et de maltraitance. C’est parce qu’on est obligé de le faire que l’on va à l’abattoir mais le top serait d’avoir un abattoir mobile qui vient dans les fermes pour ne pas les stresser du tout.
« Le but n’est pas de nourrir tout le monde mais de préserver des goûts afin qu’ils restent dans notre patrimoine. »
Nous vendons une partie de la viande à des chefs cuisiniers ou des particuliers amateurs de bonne viande quand on a besoin d’argent. Le reste du temps ce sont les bergers qui les mangent. La viande est excellente car nos moutons ne mangent que de l’herbe. Les chefs ont été enthousiastes. Nous nous sommes rendus compte que l’industrie alimentaire avait lissé les goûts. Avec ce mode de production d’excellence nous revenons au goût initial. On est le gabarit sur lequel s’étalonner. Le but n’est pas de nourrir tout le monde mais de préserver des goûts afin qu’ils restent dans notre patrimoine. »
Vous pouvez suivre les bergers urbains sur leur compte Twitter @BergersUrbains
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